La Mort immortelle, de Liu Cixin (Actes Sud, 2010)

La trilogie du problème à trois corps est LE phénomène SF de ces dernières années et la récente adaptation par Netflix ne va pas manquer de faire du bruit. Les tomes 1 et 2 m’avaient fascinée par la densité de leur univers, la cohérence avec laquelle Liu Cixin examine les implications à court et (très !) long terme de son incroyable hypothèse et la résonance politique, sociale et scientifique de son intrigue. Je dois avouer que ce troisième volet m’a parfois perdue.

Après une incursion dans la Constantinople de 1453 et une réflexion physico-philosophique sur l’origine de l’univers, j’avais pourtant repris mes marques dans l’ère de la dissuasion établie à la fin de La forêt sombre. L’histoire ne pouvait pas en rester là. D’une part, la dissuasion des Trisolariens reposait sur Luo Ji qui n’était pas immortel. Il allait donc fatalement devoir se demander qui prendrait son relai et à quelles conditions. D’autre part, on ne savait pas ce qu’étaient devenus les vaisseaux qui avaient pris la fuite lors de l’Ultime bataille. Et surtout, dans un univers aussi vaste, les relations avec Trisolaris pouvaient in fine n’être qu’un problème parmi d’autres…

Je reste impressionnée par l’imagination sans bornes de Liu Cixin et sa capacité à envisager imparablement les implications de ses prémisses. J’apprécie la réflexion à laquelle il nous convie sur la mémoire courte des humains, leurs difficultés à résoudre les dilemmes d’action collective, leur présomption, leur manque de rationalité. Mais je me suis perdue dans les discussions sur les fragments dimensionnels qui traversent l’univers, la propulsion par courbure, les champs noirs qui réduisent la vitesse de la lumière, les doubles métaphores enchâssées, les sous-univers microscopiques et leurs répercussions potentielles sur le mouvement d’expansion-contraction de notre univers. J’ai perdu mes repères spatio-temporels face aux allers et venues au fil des millénaires et des galaxies. Et j’ai eu du mal à m’attacher aux personnages qui m’ont semblé désincarnés du fait de la perspective macroscopique.

Par ailleurs, après avoir passé près de 3.000 pages avec Liu Cixin, je dois dire que je suis un peu agacée par sa vision holiste des choses – libertés et démocratie semblent toujours compliquer inutilement les réponses humaines, les femmes sont entravées par leur empathie alors qu’il serait tellement plus rationnel de s’en remettre à des hommes (militaires, politiques ou experts du renseignement) ne craignant pas de prendre les mesures qui s’imposent.

Cela dit, je ne regrette pas une seule seconde l’immersion dans cette série d’une ambition folle qui se démarque complètement de tout ce que j’ai pu lire par ailleurs. Elle est vraiment à lire, pour le plaisir de se laisser surprendre par une intrigue véritablement vertigineuse et pour la rencontre grandiose de l’astrophysique, de la philosophie et de la poésie.

Lu en mars-avril 2024 – Collection poche chez Babel, 13€

7 commentaires sur “La Mort immortelle, de Liu Cixin (Actes Sud, 2010)

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  1. Je t’avoue que je me rappelle juste que ce dernier tome m’avait encore fait des noeuds au cerveau et émerveillée aussi par son imaginaire, mais que je l’avais trouvé moins bon que le 2e qui est culte pour moi. Je suis donc bien en peine de commenter ton avis, si ce n’est que je m’étais fait la même réflexion concernant les personnages dans le tome 1 ^^

    Tu as testé ses autres écrits ?

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    1. D’accord avec toi, le tome 2 est vraiment extraordinaire ! J’ai vu que le manque d’incarnation avait fait tiquer d’autres lecteur.ice.s dès le tome 1, je ne sais pas pourquoi mais pour ma part, ce n’est qu’ici que ça m’a dérangée. C’est une série incroyablement stimulante, donc je pense que j’y ai trouvé autre chose qui compensait 🙂 Non, je n’ai encore rien lu d’autre de Cixin, tu aurais des recommandations à me faire de ton côté ?

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      1. Tu as de la chance de ne pas avoir ressenti ça plus tôt, même si honnêtement, ça ne m’a pas empêcher d’adorer.
        Non, je n’ai justement rien lu d’autre. Je demandais ton avis à bon escient lol

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  2. Je suis au milieu du tome 2 que je trouve fascinant. J’ai failli lâcher prise au début du tome 1. Je comprends qu’il va me falloir du courage pour le tome 3 et j’attendais ton analyse toujours pertinente. J’ai vu la série Netflix qui est stimulante. L’univers romanesque de Liu Cixin a beaucoup de passerelles avec notre monde d’aujourd’hui. C’est ce qui m’intéresse. Comment la société fait-elle face à une échéance annoncée de fin du monde à un horizon de trois à quatre générations?

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    1. Merci d’être passé par ici, c’est super sympa ! Je suis contente de lire que tu t’es plongé à ton tour dans cette trilogie qui restera sans aucun doute comme l’une des lectures les plus intéressantes de ces derniers (que je compte bien prolonger avec la série dès que je trouverai le temps). J’ai particulièrement aimé le tome 2. Si le 3 ne m’a pas semblé complètement à la hauteur (bon j’avais ADORÉ La forêt sombre), il reste vertigineux et très stimulant comme tu dis. Comme toi, je trouve fascinant la manière dont Cixin utilise son histoire comme métaphore des difficultés humaines à résoudre des dilemmes d’action collective… effectivement comme dans le cas du changement climatique. Au plaisir de poursuivre la discussions, je te souhaite une bonne lecture en attendant !

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