
Pour conquérir le cœur d’une jeune fille, le protagoniste du Rêve du jaguar collecte auprès des passants une myriade d’histoires d’amour extraordinaires qu’il rassemble dans un cahier. Miguel Bonnefoy donne l’impression de s’être, lui aussi, posté dans les rues de Maracaibo, toutes oreilles ouvertes, puis d’avoir tissé une mosaïque de destins romanesques : dans ces pages, on croise une mendiante muette, des prostituées, des industriels pétroliers, plusieurs générations de révolutionnaires, une tireuse de cartes, un chaman, un cinéaste français… et même un dauphin.
Cela donne quelque chose d’assez sidérant, pétri de détails réjouissants, gorgé de références à l’histoire et à la culture vénézuélienne – qui est en elle-même un vrai melting-pot – tout cela relevé d’un soupçon de magie et servi par la plume imagée de l’auteur qui confirme son talent de conteur. Son art par exemple d’attiser notre curiosité en faisant allusion, en passant, au destin improbable qui attend un personnage ! L’incipit n’en fournit pas le moindre exemple, jugez plutôt :
« Au troisième jour de sa vie, Antonio Borjas Romero fut abandonné sur les marches d’une église dans une rue qui aujourd’hui porte son nom. »
Quel destin conduira donc l’orphelin à voir une rue nommée d’après lui ? Une phrase et j’étais déjà suspendue aux pages de ce roman.
Le charme opère, donc. Cela dit, il me semble que comme le titre précédent que j’avais lu de l’auteur, ce roman a les défauts de ses qualités. Son intrigue construite en mosaïque brossant une ample saga familiale galopant sur plus d’un siècle fait que l’on s’attache à des personnages qui passent à l’arrière-plan pour céder la place à d’autres qui parfois ne font que passer, ont soudain vingt ans de plus, ne brûlent plus du même feu. C’est frustrant. Le roman fourmille de personnages qu’on aimerait connaître mieux, côtoyer plus longtemps ou de façon plus suivie. Le récit de leur vie déborde de nouvelles figures fictionnelles ou historiques, de références à des milliers d’années d’Histoire, de récits dans le récit. Il y a des fils conducteurs, comme l’intransigeance qui semble se transmettre dans la famille Borjas Romero, l’apport des jaguars – ces chats différents que leur mère éloigne de la portée et qui grandissent autrement, librement – ou même l’histoire politique du Venezuela, mais cela donne un peu le tournis.
J’aurais aimé que l’intrigue du roman soit raffermie autour d’un arc plus intégré, mais cela ne m’a pas empêchée de me laisser porter avec plaisir par les mots si évocateurs et l’imagination sans borne de Miguel Bonnefoy.
Lu en octobre 2024 – Rivages, 21,90€
Une lecture au charme qui intrigue et attire. Merci pour cette tentante découverte !
J’aimeJ’aime