L’année de grâce, de Kim Liggett (Casterman, 2020 pour la traduction française)

Les citations de Margaret Atwood et de William Golding en exergue du roman donnent le ton : celui des dystopies, avec en l’occurrence de forts accents féministes. Antoine est bien de sa génération, il a une vraie prédilection pour ces textes qui sondent les aspects les plus sombres de l’humanité et nous questionnent sur le mode de la fable politique. Il a résolument choisi ce roman parmi toutes les parutions de la fin de l’année 2020 et n’en a effectivement fait qu’une bouchée, avant de me presser de le lire aussi (ainsi que ses deux grand-mères toujours très volontaires pour suivre ses conseils !).

Tout ce petit monde s’est donc retrouvé captivé par le sort de Tierney, livrée comme toutes les jeunes filles de son comté aux épreuves terribles de l’année de grâce. Personne ne se risque à parler de ce rite de passage mal nommé (« C’est interdit »). Mais d’aucuns savent que cet exil en forêt doit permettre à la magie envoutante de ces femmes en devenir de se dissiper dans la nature… et dans la douleur.

Si ce roman est glaçant, c’est parce qu’il a beau représenter une société inhumaine, il n’en fait pas moins écho à des formes d’oppression non seulement réelles, mais encore tout à fait d’actualité aujourd’hui dans certains contextes : les superstitions relatives au péché originel ou aux pouvoirs de certaines femmes – ne sommes-nous pas toutes un peu sorcières ? –, instrumentalisés pour légitimer l’assujettissement du « sexe faible », les obstacles à l’instruction des filles, la culpabilisation des femmes pour l’attrait qu’elles peuvent exercer et l’idée que ce serait à elles de cacher leur corps, leur asservissement sous l’autorité d’un père, puis d’un mari, ou encore les mariages forcés. Et, plus largement, le pouvoir tiré des croyances et des traditions que plus personne ne questionne, de la terreur fondée sur la loi du secret et de l’obscurantisme.

Kim Liggett rythme parfaitement les péripéties, les révélations et les étapes du cheminement intérieur de Tierney pour nous tenir en haleine. L’héroïne est attachante, on la suit avec angoisse et désarroi, parmi ces jeunes filles qui semblent à la merci d’impitoyables traditions. J’ai pensé que l’autrice forçait le trait, surenchérissant dans la violence et nous présentant des personnages qui pouvaient sembler très monolithiques. Puis les choses ne se passent pas comme prévu, l’héroïne révèle des ressources surprenantes, noue des alliances ; nous apprenons avec elle à reconsidérer certains préjugés et les ressorts de cet ordre social terrible s’éclairent. Cette initiation est bien amenée, montrant avec finesse l’évolution des rapports de force au sein du groupe de filles (et au-delà !) et plaçant le récit sous tension jusqu’au final subtil et inattendu.

Ce roman très remarqué semble bien parti pour se faire une place dans la droite lignée du carton de la série Hunger Games (une adaptation cinématographique est d’ailleurs déjà en cours). Une lecture féroce et galvanisante qui porte haut des valeurs de courage, de solidarité et d’émancipation !

L’avis de Sophie

Extrait

« À Garner County, toutes les femmes sont coiffées de la même manière : les cheveux rassemblés en une longue tresse et le visage dégagé. Les hommes considèrent qu’ainsi, elles ne pourront rien leur cacher : ni rictus narquois, ni coup d’œil furtif ou étincelle de magie. Les rubans sont blancs pour les fillettes, rouges pour les adolescentes en année de grâce et noirs pour les épouses. L’innocence. Le sang. La mort. »

Lecture commune avec Antoine en février 2021 – Casterman, traduction de Nathalie Peronny, 19,90€

7 commentaires sur “L’année de grâce, de Kim Liggett (Casterman, 2020 pour la traduction française)

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  1. Ce livre m’intrigue ! Est-ce que cela dirait à Antoine-qui semble se spécialiser dans le genre- de filer un coup de main à une amie de sa mère ; ? Serait-il partant pour me donner son top 10 des meilleures dystonie qu’il ait lues ? Ses préférées ? Ce serait pour ma valise pédagogique sur la science-fiction en 3e. ( j’adore l’idée que les livres que je présente à mes élèves soient sélectionnés par un des leurs 😉

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    1. Avec plaisir ! On vient de faire un tour devant ce rayon-là de sa bibliothèque et de dresser une liste de ses favoris. Voici son classement (il en a ajouté 5 sur liste complémentaire, c’était trop dur de se décider…) :
      – Six of Crows, de Leigh Bardugo
      – La stratégie d’Ender, d’Orson Scott Card
      – L’assassin royal, Robin Hobb
      – Red Rising, de Pierce Brown
      – Sirius, de Stéphane Servant
      – La tour sombre, de Stephen King
      – Félines, de Stéphane Servant
      – Hunger games, de Suzanne Collins
      – Nous sommes l’étincelle, de Vincent Villeminot
      – Le chaos en marche, de Patrick Ness

      Liste complémentaire :
      – Phobos, de Victor Dixen
      – De sang et de rage, de Tomi Adeyemi
      – Divergente, de Veronica Roth
      – L’année de grâce, de Kim Liggett
      – Miss Peregrine, de Ransom Riggs

      NB: Presque tous sont des séries, Antoine les a lues dans leur intégralité et répond de l’ensemble !
      Ce ne sont pas tous des livres fléchés « jeunesse », certains peuvent être violents, parler de harcèlement, de torture, de violences (sexuelles). Si tu veux en savoir plus, on est à ta disposition 🙂 N’hésite pas à nous faire part de ta propre sélection et des retours que tu auras…

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