L’énigme Edna, de Florence Hinckel (Nathan, 2021)

La silhouette de la jeune fille sur la couverture reste dans l’ombre : elle se dessine sur le fond rouge incandescent, mais on n’en devine que les contours. De même, la personnalité d’Edna ne se révèle qu’à petites touches. On sait dès le prologue qu’elle fut une enfant douce et imaginative, qui vécut une apocalypse à l’âge de douze ans. On sait bientôt aussi, par les extraits d’un reportage qui lui sera consacré bien plus tard, qu’elle sera impliquée dans des événements terribles. Évidemment, on brûle de découvrir la nature de ce drame et surtout de comprendre ce qui a pu se détraquer pour en arriver là…

Face à tant de mystère, on ne lâche pas ce thriller à la construction impeccable. C’est un texte dur qui évoque à vif les clivages sociaux, genrés, raciaux et territoriaux qui minent nos sociétés. Troublante et en marge de tout, Edna a tous les déterminismes contre elle. Eliott les a pour lui. Chacun bout d’une rage exacerbée, catalysée pour l’une par l’expérience d’une injustice cardinale qui imprègne toute son existence, pour l’autre par la panique de perdre ses privilèges.

Ce qui est fascinant, c’est la manière dont tout cela se cristallise comme un fil conducteur dans les rapports que les personnages ont à la lecture qui joue un rôle de tout premier plan dans l’histoire : le snobisme de ceux qui affirment leur monopole du bon goût littéraire, les passions que peuvent inspirer les livres, mais aussi l’appréhension de qui ne se sent pas à sa place dans une bibliothèque, le sentiment déplaisant d’être exclu de quelque chose de fascinant ou de se voir assigner les bouquins qu’on n’aurait pas choisis.

Il faut bien le dire : tout est très noir dans ce roman de rage et d’ombre, les rares lueurs d’espoir sont bien vacillantes. Florence Hinckel expose sa protagoniste à une somme immense de maux, mon moussaillon et moi avons souffert pour elle jusqu’au final qui nous a laissés sonnés. Nous aurions aimé trouver plus de lumière dans ces pages. J’ai tout de même été très intéressée par la réflexion sur la responsabilité qui traverse ce livre de bout en bout. Et je me dis qu’il peut être de ceux qui ouvrent des fenêtres sur le vécu de celles et ceux qu’on n’entend pas.

Un roman d’anticipation révolté où se consument les sujets les plus brûlants de notre époque, à lire pour celles et ceux qui ont le cœur bien accroché.

Extraits

« Elle ne se rendait jamais non plus seule en médiathèque, et encore moins en librairie, parce que ces lieux lui faisaient peur. Les libraires et bibliothécaires qu’elle y avait vus au travers des fenêtres ou vitrines lui paraissaient pourtant avenants, et il était même arrivé qu’une libraire lui fasse signe d’entrer avec un grand sourire… mais quelque chose dans la façon dont elle était vêtue, coiffée et maquillée l’avait fait fuir. Était-ce le teint parfait ? Le collier coloré ? La jolie broche ouvragée ? Les collants décorés ? Toute la mise de ces personnes sympathiques lui criait qu’elle ne faisait pas partie de leur monde. Edna craignait toujours d’y commettre une parole ou un geste dissonants. »

« Dans le placard, derrière les portes coulissantes, il y avait aussi Chien bleu de Nadja, qu’elle avait découvert peu après dans cette même librairie, où elle avait désormais la force de traîner sa mère plus à l’aise dans les rayons du supermarché. La présence évidence, sereine et silencieuse de ce grand chien résumait tout ce que Chaïnez pensait des livres en général. Comme Chien bleu, ils étaient là, tout près, et ils devaient rester là, tout près, charriant un univers mystérieux. »

Lu à voix haute en décembre 2021 – Nathan, 14,95€

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