Humus, de Gaspard Koenig (Éditions de l’observatoire, 2023)

L’un vient du Limousin et voudrait conquérir Paris, l’autre d’un milieu aisé et rêve de se mettre au vert. Les trajectoires d’Arthur et de Kevin vont se croiser sur les bancs d’AgroParisTech.

Leur amitié se noue autour d’une passion : les lombrics. Oui, vous avez bien lu. Vous pensez peut-être qu’il n’y a pas là de quoi fouetter un ver de terre ? En lisant ce roman, vous réaliserez à quel point vous avez tort : ces sympathiques bestioles sont non seulement indispensables à la régénération des sols, mais véritablement fascinantes. Nos deux étudiants partagent un même idéal – sauver le monde grâce aux lombriciens – mais chacun le met en pratique de manière on ne peut plus différente. Tandis que l’un se lance dans le monde des start-ups et de la green tech, l’autre s’installe en Normandie pour cultiver un champ.

Le roman tire le fil de ces deux expériences, extrapolant pour sonder leurs potentialités, limites et contradictions respectives. Car nos deux idéalistes en voient des vertes et des pas mûres. C’est féroce et même outrancier – écolos et banquiers, bureaucrates et politiques, agriculteurs et dirigeants d’entreprises adeptes de la RSE, tout le monde est rhabillé pour l’(hi)ver.

J’ai trouvé que Gaspard Koenig forçait un peu (trop) le trait, particulièrement pour les personnages féminins qui sont particulièrement antipathiques, ou lorsque l’auteur libéral se laisse aller à son aversion à l’égard de l’administration. Mais on ne peut qu’être admirative de la minutie avec laquelle sont documentés les différents théâtres où se joue l’avenir de la nature. De la banque publique d’investissement à la place du village, des réunions d’extinction rebellion aux fonds d’investissements de la Sillicon Valley, on s’y croirait. Même le Canard Enchaîné est là pour tirer des vers du nez des témoins et faire des révélations fracassantes !

Les impasses et contradictions qui minent la transition écologique, empêtrée dans ses dilemmes d’action collective, ses clivages et tergiversations sur les moyens d’action légitime, sont analysés avec justesse. Le ver est dans le fruit. Est-il encore temps d’agir ?

Tout cela nourrit une intrigue assez incroyable, ample, imprévisible et riche en rebondissements. Si je n’ai pas été convaincue par tout, je reste séduite par la manière dont ce roman parvient à conjuguer réflexion agronomique, philosophique, politique et fresque romanesque. Il y a aussi une poésie que l’on n’attend plus dans un monde déliquescent mais qui pourtant jaillit lors de scènes magnifiques dédiées aux lombrics ou lorsque l’auteur file la métaphore des rampants pour évoquer les masses laborieuses constamment foulées du pied.

Un roman initiatique porté par une plume acérée qui parvient à divertir tout en prenant à bras le corps les grandes questions. Si vous vous y plongez, je parie que vous finirez comme moi, captivée par la page Wikipedia consacrée aux Lumbricina, puisqu’ils sont manifestement l’avenir de l’Homme !

Lu en septembre-octobre 2023 – Éditions de l’Observatoire, 22€

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