Nous traverserons des orages, d’Anne-Laure Bondoux (Gallimard jeunesse, 2023)

Dans cette famille, les hommes portent des noms d’arbre. Les temps changent avec les générations, mais la ferme des Chaumes est comme immuable et les Balaguère restent hantés par les mêmes démons : les chimères et l’abandon, les non-dits et la violence.

De 1914 à nos jours, Anne-Laure Bondoux nous fait traverser plus d’un siècle d’histoire au prisme d’une famille. C’est assez fort, la manière dont elle déploie tranquillement cette fresque du 20ème siècle – même si je ne suis pas sûre que les intermèdes en italique qui ponctuent les parties en brossant à grands traits les fait qui ont marqué une époque parleront vraiment aux lecteurs.ice.s à qui tout cela ne dirait encore rien.

« En ce milieu des années soixante, alors que le président John F. Kennedy s’est fait assassiner, que les États-Unis commencent à bombarder le Vietnam, que des scientifiques évaluent les effets bénéfiques du LSD sur les troubles mentaux et que la contre-culture hippie se diffuse largement depuis San Francisco en proposant de faire l’amour plutôt que la guerre, les Français sont partagés entre l’envie de tout changer et celle, inverse, de ne rien changer du tout. »

L’avantage de cette approche est la facilité avec laquelle ce roman se lit. On vit au rythme de la famille, on finit par connaître son hameau comme sa poche, on vibre au rythme des guinguettes et on redoute l’écho des prochains obus. Surtout, on réalise à quel point cette histoire a été meurtrie par les guerres qui ne laissent de répit à aucune génération. Leur horreur devient palpable dans les souffrances silencieuses des hommes de la famille Balaguère, mais aussi dans les cicatrices imprimées sur l’ensemble de l’arbre généalogique.

« Entre ces deux époques, tu verras vivre ici quatre générations d’une famille tourmentée par des secrets et hantée par des morts sans sépulture.
Entre ces deux époques, nous traverserons des « orages. Tu verras se répéter des conflits, des accidents, des abandons et des coups de couteau. Tu verras changer les saisons, les habitudes, les lois et les gouvernements. Tu assisteras plusieurs fois à la fin du monde et au début d’un autre.
Tu verras des hommes tomber amoureux, rêver de grandes choses, partir à la guerre, et en revenir sans mot et sans gloire. Car il n’y a pas de super-héros dans notre histoire. Seulement des hommes blessés par la violence du monde et qui, incapables d’exprimer ce qu’ils ont au fond d’eux-mêmes, se taisent et exercent la violence à leur tour, comme enfermés dans une malédiction.
Jusqu’à moi. Jusqu’à toi. »

Point de héros ici, les personnages du roman ne sont pas spécialement sympathiques ni exceptionnels, mais terriblement humains. Si bien que j’ai fini par m’attacher à Clairette, Aloès ou Olivier, et que j’ai été bouleversée par le dénouement de l’intrigue. Ce dernier donne tout son sens à la dédicace (« Pour mon père, que je n’ai jamais vu pleurer ») et au prologue, nous laissant mesurer les pouvoirs rédempteurs des mots. Et méditer ce futur dans le titre…

Merci à Linda de m’avoir permis de découvrir ce roman ! N’hésitez pas à lire les avis de Lucie et Liraloin.

Lu en décembre 2023 – Gallimard Jeunesse, 19,50€

3 commentaires sur “Nous traverserons des orages, d’Anne-Laure Bondoux (Gallimard jeunesse, 2023)

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