Zephyr, Alabama, de Robert McCammon (Monsieur Toussaint Louverture, 2022 pour la traduction française)

Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’on ne s’ennuie pas à Zephyr en cette année 1964. Derrière les portes de ses petites maisons, au fond de sa rivière tumultueuse ou de son lac profond, la bourgade du sud de l’Alabama renferme de sombres mystères, et même un assassin. Témoin avec son père d’un crime traumatisant, Cory, jeune collectionneur de trésors et de magazines de monstres, s’efforce d’élucider l’affaire.

En refermant ce livre de 600 pages, on a l’impression de connaître Zephyr comme sa poche : ses églises et ses ragots, son supermarché flambant neuf, ses contrebandiers et ses attaques racistes, le quartier noir de Burton où la conquête des droits civiques s’organise. Cette toile de fond sociale et politique, esquissée par le prisme du quotidien de Cory, donne de l’épaisseur au récit mais sans l’appesantir aucunement. D’abord parce que l’enquête place le roman sous tension. Des indices sont distillés à chaque chapitre sous la forme d’indices à première vue anodins mais qui finissent par prendre tout leur sens. Au fil du quotidien, Cory observe, déduit, recoupe des éléments stupéfiants, faisant la rencontre d’une reine noire de cent six ans, d’un as de la gâchette, d’un monstre de rivière et même d’un tricératops.

Le regard enfantin du narrateur donne au roman une fraîcheur irrésistible. Les frasques de Cory et de ses copains ont décidément quelque chose du charme des aventures de Tom Sawyer, mais avec en plus le rythme scandaleux des tubes des Beatles et des Beach Boys. Et un soupçon de magie. Cory et ses copains savent lire les rêves, la forme des nuages et les grains de sable. On ne sait pas toujours si Cory en rajoute un peu (il a l’étoffe d’un écrivain, voyez-vous), si l’imagination de sa bande la dépasse un peu ou s’il y a vraiment un solide cœur de magie à Zephyr.

Tout cela semble un peu foisonnant, mais tout finit par s’imbriquer parfaitement en un tout cohérent qui m’a beaucoup émue.

Ce livre est un univers à lui tout seul, un roman à remonter le temps porté par une plume vive qui trace son sillon propre à la lisière de la tranche de vie, de l’enquête policière, du thriller et du réalisme magique. Encore une excellente pioche pour Monsieur Toussaint Louverture qui conforte son rôle de passeur de littératures de premier plan !

Extraits

« Je suis né et j’ai grandi à une époque magique, dans une ville magique, entouré de magiciens. Oh, la plupart n’avaient pas vraiment conscience de vivre dans cette toile de magie reliée par des filaments argentés tissés de chance et de circonstances. Mais moi, je savais. »

« Gotha et Gordo Branlin, c’était comme la peste bubonique ; on prie pour lui échapper, mais quand elle a mis la main sur vous, c’est sans espoir. »

« Son bras droit trancha l’air d’un mouvement vertigineux. Son dos se détendit tel un fouet qui claque, et il envoya la balle de toutes ses forces vers le ciel, presque à la verticale.
Je la vis partir et monter haut, très haut, toujours plus haut… Puis ce ne fut qu’un point noir et je crus que le soleil l’avait confisquée.
Nemo s’écroula à genoux. Le cri et le tir l’avaient vidé. Ses lunettes étaient de travers. Il clignait des yeux.
« Attention ! s’écria Davy, le nez en l’air. Elle va retomber !
– Où ça ? demanda Johny, le gant levé.
– Où elle est passée ? » criai-je en reculant de quelques pas pour mieux scruter l’éblouissante lumière.
Ben aussi fixait le ciel, les bras ballants. « La vache, dit-il tout bas. Elle est partie… »
Nous attendions, le nez en l’air.
Nous attendions, prêts à bondir avec nos gants.
Nous attendions. »

« Et la magie a un cœur solide, très solide. »

Lu en août 2022 – Monsieur Toussaint Louverture, traduction de Stéphane Carn (avec la participation d’Hélène Charrier), 20,50€

Un commentaire sur “Zephyr, Alabama, de Robert McCammon (Monsieur Toussaint Louverture, 2022 pour la traduction française)

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  1. Je n’avais pas osé me procurer ce titre dont je n’avais jamais entendu parler… ses quelques 600 pages me faisaient peur aussi, « et si ça ne me plaisait pas ». Donc merci pour la découverte. Je sais désormais qu’il faut j’en fasse la lecture 😀

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